Ca fait quelques temps que je vous ai délaissées, mais c'était pour la bonne cause. En une semaine, il n'y a qu'un jour où je n'ai pas réussi à aller voir Tatooine. On progresse rapidement et on devient presque inséparable, mais ceci est une autre histoire. Avant de partir dans celle-ci, je voulais terminer l'autre...
Après le départ de la jeunesse dorée américaine, je suis retourné à Dark water pour travailler avec Daran. Comme le travail de fermier est assez calme puisqu'on ne fait que dans la vache à viande, dans l'Outback, et que les fins de mois peuvent être difficiles, il s'engage régulièrement comme cow-boy chez d'autres fermiers. Justement, un de ses plus proche voisins (à 70km ) a pris sa retraite et a décidé de vendre sa ferme et son bétail séparément. Daran a été engagé comme responsable, à la tête de trois autre types, afin de récupérer l'ensemble du troupeau disséminé sur une surface grande comme Paris... Il m'a proposé de venir pour l'aider en précisant que je ne serait pas payé compte tenu de mon inexpérience. Pour moi, il n'en fallait pas plus pour me motiver. On embarque les chevaux y compris Merlin et on se lance sur les routes de terre battue pour rejoindre notre cible. Des locaux sont mis à notre disposition pour dormir et manger et un corral est réservé pour nos bêtes.
Le plan est de laisser l'hélicoptère regrouper le gros du bétail dans un champs de plusieurs dizaines d'hectares et de l'y enfermer pour que les cavaliers puissent entrer en action.
Nous sellons et rejoignons une colline au centre de ce champs pour attendre le troupeau poussé par le chopper, équipé d'un fusil à balle en caoutchouc pour convaincre les plus récalcitrants de rejoindre le rang.
Les premiers à arriver ne sont pas les vaches mais un troupeau de kangourou qui, épouvanté, nous passe juste à côté. Je ne les avais vu qu'immobiles ou presque, jusque-là. Mais en pleine fuite, je n'ai pas tout de suite compris ce que c'était. La première référence qui m'est venue à l'esprit, c'était les vélociraptors de Jurassic Park, tellement ça ne ressemblait à rien de ce que je connaissais. Des bonds de 8 mètres entre chaque saut d'une souplesse fabuleuse. Une pureté dans le déplacement, magnifique.
Les vaches sont arrivée bien plus tard et leur nombre dépassait rapidement nos capacités à les compter. Il y en avait pas loin de mille, au final. Rapidement, nous nous sommes mis à l'oeuvre pour en regrouper une première partie et la conduire vers le grand corral.
Merlin faisait des merveilles et il ne s'ait pas laissé déborder une seule fois. Ces animaux étaient totalement sauvages car peu d'entre eux avaient déjà vu un homme ou un cheval.
https://i.servimg.com/u/f20/16/30/04/48/halico11.jpg Le propriétaire, qui n'avait plus l'âge de nous accompagner à cheval n'avait d'ailleurs aucune idée du nombre de têtes qu'il pouvait bien posséder! Une fois ramenés au corral, on a mis les chevaux au repos et on est parti trier tout ce petit monde qui, guidé dans un couloir se retrouvait finalement,individuellement, au centre de tous les corrals, dans un espace circulaire pourvu de multiples portes où Daran ordonnait l'ouverture d'une porte correspondant à un tri basé sur le sexe, l'âge et la race du bestiaux. Ce système fort pratique nous permettait de séparer facilement les animaux pour obtenir uniquement des troupeaux triés dont certains, comme les boeufs, montaient directement dans un camions pour la boucherie. C'était sport au centre car le bovin qui s'y trouvait embrochait volontiers le premier humain à disposition et il fallait se protéger derrière les portes qu'on ouvrait... ou sauter sur les barrières pour éviter les cornes.
Les jours suivants, nous sommes retournés chercher les autres animaux qui étaient encore parqués dans le champs principal et avons recommencé le travail. Ensuite, nous avons marqué les bêtes qui ne l'étaient pas encore, vacciné tout les veaux et avons castré les mâles. Je ne vous donne pas de détails sanglants mais il parait que ce n'est pas très douloureux... et les chiens se sont régalés...
Plus tard, une fois le tri effectué, nous avons reconduis les vaches dans un champs en attendant leur départ puis nous avons fait sortir les veaux, afin de les habituer à être guidés par des chevaux. Ca avait bien commencé, en douceur, comme Daran aime le faire. Nous les entourions paisiblement, sans chiens mais soudain, sans raison apparente, les veaux les moins jeunes ont piqué la mouche et ont passé nos lignes. Ils sont partis sur les barbelés et sont passé à travers sans même ralentir. Ils ont ainsi brisé 5 clôtures de 4 étages de barbelé solide, en se mélangeant à d'autres bovins au passage, avant que nous puissions les rejoindre et faire tourner ce troupeau de fous furieux sur lui-même pour le stopper. Merlin a donné la pleine mesure de ses moyens et a remonté la file à bride abattue. Malheureusement, je ne savais pas quoi faire, tout seul, devant, et j'ai dû attendre Daran pour qu'il m'explique, en plein galop, la stratégie à adopter. Après avoir arrêté cette jeunesse vigoureuse, nous les avons laissé pâturer un moment avant de les reconduire au corral où nous avons eu le "plaisir" de les retrier. Je me souviens que Daran était passablement énervé.
Une fois le contrat terminé, nous avons été payé, moi également, car mon travail avait été remarqué du propriétaire et nous avons rejoint Dark Water. Là, j'ai passé encore un mois avec Merlin avant de devoir repartir. Durant ce mois, je me souviens d'un évènement qui fut le point culminant de ce que j'aime appeler l'effet centaure. Nous déplacions un troupeau appartenant à Daran avec les chevaux et je trouvais la technique passive de Daran très ennuyeuse, si bien qu'il m'a remis à l'ordre pour ne pas suivre ses ordres et me montrer trop énergique avec le bétail. On était donc un peu en froid. Hors de la saison rut, les taureaux ne restent pas volontiers avec les vaches et préfèrent la solitude. L'un d'entre eux, têtu, n'avait qu'une idée en tête: quitter ce troupeau et se faire la belle. Je l'avais pourchassé plusieurs fois pour le remettre dans le troupeau sans parvenir à lui faire changer d'avis. Les chiens devaient avoir la même sensation que moi, au sujet de l'ennui général car finalement, ils ont semé la pagaille et, comme narré plus haut, dans l'autre ranch, le troupeau est parti en rush, tout droit, pris de panique.
J'ai décidé de laisser Daran et ses amis se débrouiller puisque je ne semblais pas être utile et je me suis mis en tête de rattraper une fois de plus ce taureau qui a profité de l'aubaine pour repartir discrètement dans le bush. Merlin s'est mis à sa poursuite mais l'individu n'était pas du tout résolu à entendre raison, si bien qu'il s'est mis à charger mon cheval, qui a encaissé la première charge sans broncher. Heureusement, ses cornes partaient est/ouest, de côté et ne l'on pas blessé. Merlin était d'un calme total et continuait à faire face. A la deuxième charge, je l'ai talonné et il a bondi en avant pour charger en retour. Le taureau ne devait pas s'y attendre et s'est retrouvé sonné par le poitrail de Merlin, a perdu l'équilibre et s'est a roulé dans la poussière. Avant qu'il ne puisse se relever, j'étais sur son flanc, l'empêchant de manœuvrer, mon fidèle second à mes côtés, très intéressé par la bestiole et peu désireux de me laisser seul dans une telle situation. Je ne portais malheureusement pas de ceinture, ce jour-là et j'ai dû utiliser ma chemise pour attacher les pattes avant, afin de l'immobiliser. De retour en selle, je suis parti rejoindre les autres un kilomètre plus loin. Ils avaient réussi sans mal à arrêter la débandade et laissaient pâturer les vaches en les calmant. C'est un peu plus tard que Daran s'est forcé à m'adresser la parole pour me demander ce qui était arrivé à ma chemise. Il a voulu venir voir, avec le troupeau, car il ne croyait absolument pas à mon histoire. Il est resté mutique un bon moment devant le spectacle qui s'offrait à lui avant de reprendre le commandement. Il a envoyé les chiens sur le pauvre animal couché. Ils se sont fait un malin plaisir à le mordiller et à l'épouvanter franchement, avant que je ne récupère ma chemise et que le taureau ne fonce directement au centre du bétail pour ne plus se faire remarquer.
C'est sur ce haut fait que mes souvenir de Merlin se terminent. Je ne garde pas grand souvenir de mon départ. Merlin est resté quelques jours à Dark Water avant qu'un cow-boy ne vienne l'acheter, mais j'étais déjà parti avec le souvenir impérissable d'un cheval hors du commun. Y penser me fait mal et je ne compte pas le nombre de fois où j'ai voulu retourner en Australie pour le retrouver et le racheter. Aujourd'hui encore, je me demande s'il vit toujours. Il aurait 20 ans. Aujourd'hui encore, j'ai les larmes aux yeux lorsque j'y pense.
The End